
Pour
la majorité d’entre nous, le bonheur représente une notion
subjective qui ne possède pas de définition type, de définition
commune à tous. La conception du bonheur semble donc dépendre de
chacun et de chacune, en fonction de ses propres aspirations, ses
propres envies, ses propres goûts, ses propres besoins. Pour
certains et certaines, le bonheur résultera par exemple d’une
carrière professionnelle réussie. Pour d’autres, il prendra sa
source dans la jouissance du confort matériel. Pour d’autres
encore, cela passera par le fait de se sentir libre et de ne pas être
dépendant de quoi ou de qui que ce soit. Mais aussi, le bonheur peut
être de fonder une famille, voyager, marquer le monde de son
empreinte, vivre à travers une activité artistique, etc. La liste
est infinie. Ainsi, le bonheur se présente donc un peu pour tous
comme une affaire personnelle, intime, qui recèle autant de
définitions qu’il y a finalement d’individus sur terre. En ce
qui me concerne, je ne partage pas cette théorie qui à mon sens
manque cruellement de substance.
Au-delÃ
des différentes envies contenues dans l’idée que nous nous
faisons du bonheur, il existe deux facteurs indispensables qui
supplantent selon moi toutes ces espérances. La durabilité et la
résistance. La durabilité dans le long terme et la résistance Ã
l’épreuve des diverses circonstances, aussi rudes soient-elles,
auxquelles la vie nous expose. Ce qui signifie que le bonheur
véritable, quel que soit la manière dont on le définit, ne peut ni
incarner un état passager, ni une modalité qui s’auto-détruirait
au moindre remous ou modification de l’existence. Car un tel
bonheur, aux contours aussi fragiles et impermanents, qui
contiendrait en son sein des épisodes de souffrance, de frustration,
d’insatisfaction, ou qui dépendrait d’un contexte spécifique,
ne peut sérieusement pas revendiquer une appellation qui soit si
noble et si fondamentale. En d’autres termes, un bonheur branché
sur courant alternatif n’est finalement rien d’autre Ã
l'arrivée qu’un malheureux ascenseur émotionnel.
Par
ailleurs, nous pouvons également observer qu’il existe à un
niveau supérieur de ces désirs travestissant la notion de bonheur,
des préoccupations latentes qui animent la plupart d’entre nous,
toutes origines et cultures confondues. Quelles que soit notre
profession, notre niveau social ou la place que nous occupons dans la
société, nous recherchons presque tous, intimement, en arrière-plan
des activités de la vie, un certain degré de calme, de paix et de
sérénité intérieures. Qui, en toute honnêteté, ne possède pas
un désir profond de réduire en lui l’agitation mentale et
sensorielle qui le malmène, le tourmente, et de maitriser les
émotions et les pensées qui prolifèrent continuellement ? À la
lecture de ces lignes, je le vois venir, certains rétorqueront qui
si c’était réellement le cas, la majorité des gens
abandonneraient alors l’intérêt qu’ils portent à la question
matérielle pour s’atteler à un travail personnel qui permette
l’accès à ce bonheur-là . Or, dans les faits, ce n’est pas
vraiment ce qu'il se passe diront-ils. Et ils auront totalement
raison il faut l’avouer.
À cela, je répondrais que l’être humain n’est malheureusement pas à une contradiction près. Nous souhaitons le beurre et l’argent du beurre. Plus que tout, le réconfort sans les efforts. Nous aimerions jouir le plus possible des activités matérielles et sensorielles émanant du monde phénoménal, et en même temps, ressentir une stabilité mentale et émotionnelle résistant à toutes épreuves. Sauf qu’en ces termes, c’est impossible. Puisque notre attraction et notre attachement pour le monde matériel est justement l’une des raisons principales de nos agitations. L’élan constant qui nous conduit en direction du monde extérieur se produit au détriment de notre bien-être intérieur. Plus les stimulations extérieures nous agitent et plus nous souffrons. Tiraillés sans cesse entre nos attractions et nos répulsions, entre nos victoires et nos échecs, entre nos espérances et nos désillusions. Quoi que disent le montant de nos fiches de paie, la taille de nos appartements ou maisons, le nombre de nos conquêtes sentimentales, notre niveau de notoriété au sein de notre environnement, nous souffrons d’une manière ou d’une autre. Nous souffrons, et cela, que nous nous trouvions dans la partie basse ou haute de l'échelle. De manque pour les moins chanceux, de cupidité pour les autres. Quand nous souffrons trop et que la vie nous l’assène avec trop de fermeté, nous sommes alors enfin prêts à revoir notre copie et à réévaluer la hiérarchie de nos priorités. Mais comme toute situation passe naturellement à un moment ou à un autre, la souffrance n’y dérogeant pas, nous oublions très vite nos bonnes résolutions et repartons aussitôt en quête effrénée de nouveaux désirs et de plaisirs à satisfaire. Depuis trop longtemps, nous avons choisi de souffrir cycliquement et parfois très durement, au risque d’y laisser notre santé, voire notre vie, plutôt que de concéder à quelques petits sacrifices. De briller socialement plutôt que de rayonner intérieurement. De se laisser porté par les vagues des distractions sensorielles plutôt que consacrer un peu de notre temps à un travail personnel et introspectif. Résultat des courses, nous préférons, par paresse et indolence, faire une croix sur ce bonheur qui nous fait défaut et malgré tout qui demeure important à nos yeux. Ce refus de la moindre mise à jour de notre vie et de notre conception du monde, nous pousse à aller chercher, tel Don Quichotte, des motifs de bonheur dans le monde extérieur alors que nous en possédons la source véritable à l’intérieur de nous. Mais comme dis plus haut, nous désirons, envers et contre tout, récolter les fruits d’une semence que nous n’avons pas, par manque de discernement, pris la peine de disséminer.